Le berceau du confinement

Évolution personnelle et professionnelle

Le berceau du confinement

Les Temps Qui Courent se sont soudain arrêtés, derrière eux une porte a claqué, ils se sont retrouvés enfermés. Ils ont eu beau faire des pieds et des mains pour prendre la tangente, dans leur élan ils se sont cognés aux murs. De guerre lasse, parce qu’il faut quand même que « ça marche », mains derrière le dos, tête baissée, ils ont commencé à tourner un peu en rond. Et à ressasser. Il fallait se rendre à l’évidence ils étaient piégés par l’Adversaire de tous les temps, le Confinement. Pourtant ils le croyaient banni d’une planète qui depuis des décennies tournait presque exclusivement à leur rythme, trépidant. Le confinement c’est bon pour la radioactivité, mais avec eux, Les Temps Qui Courent, il n’y a pas mort d’homme. Rien que des gens qui, comme eux, courent sans s’arrêter et qui, il faut bien se l’avouer, parfois explosent en vol… Les Temps Qui Courent se mettent à regarder leurs pieds, un peu gênés. Puis se remettent à tourner sur eux-mêmes tandis que dans leur tête cela gamberge, confiner, confiner, d’abord qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire confiner ?

A force de tours et retours sur soi et sur le mot en soi, ils se retrouvent pris dans un étrange mouvement tournant presqu’enveloppant. Curieusement cela finissait par avoir quelque chose d’attirant au point qu’ils n’avaient plus du tout envie de quitter cette sphère dont ils étaient pourtant prisonniers. Ils en étaient tout retournés. Et puis cette circulation en boucle leur rappelait vaguement quelque chose qui remontait à la nuit des temps…

Les Temps Qui Courent avaient complètement oublié qu’au premier sens du terme circuler signifie se mouvoir circulairement comme les planètes gravitant autour du soleil. Ils n’avaient plus en tête que le quatrième sens du terme : courir, se propager, se répandre[1].… Là, ils se sont de nouveau mis à regarder leurs pieds d’un air gêné, comprenant qu’ils pouvaient être un vecteur puissant de cela même qui avait contribué à les enfermer. A bien y réfléchir, finalement, le confinement, l’ennemi juré, leur faisait redécouvrir un mouvement premier, ancestral, passé à la trappe. Il y avait donc dans leur ADN bien autre chose que courir, se propager, se répandre. Cela leur ouvrait de nouvelles perspectives.

Alors, prêts à se mettre sur orbite, ils se laissent aller sans plus résister à ce mouvement tournant si attirant. Pris d’un léger tournis ils ferment les yeux pour ne pas vaciller. Dans le noir, à l’intérieur, une trappe s’ouvre sous leurs pieds, un escalier en colimaçon invite à la descente. L’escalier est si étroit, la spirale si serrée que cela oblige à la plus grande concentration. Ainsi disposés à tourner en colimaçon, ils suivent la spirale qui les attire toujours un peu plus bas tout en les maintenant comme dans un étui. Le tournoiement sur soi en direction du fond provoque une sorte de légère constriction du corps et de l’esprit, ils se sentent de plus en plus consistants en même temps qu’affûtés. Voilà qu’avec ce nouveau mode de circulation ils sont en train d’acquérir un nouveau pouvoir, un pouvoir de pénétration de la vie à l’intérieur, d’une vie en profondeur.

 En acceptant de se lover dans la boucle du confinement, ils se sont glissés dans sa gaine, elle les emmène au fin fond des choses. Ils atterrissent en douceur sur un sol en terre battue, on n’y voit pas très clair mais on entend des voix, cela parle latin et même, à un moment donné, le grec ancien. Les Temps Qui Courent sont arrivés aux origines du confinement, là où il a pris racine.

Dans le berceau du confinement, étymologiquement, on trouve deux mots en latin, cum : avec, en compagnie de, et finis,is  la ou les fins. Vivre confiné signifie donc vivre en compagnie des fins car la fin est plurielle et contient en elle sa kyrielle de sens. Vivre en pareille compagnie !?, l’horreur absolue pour les Temps Qui Courent. En temps normal ils auraient déjà tourné casaque, mais un peu mieux disposés par le chemin parcouru, sur le sol en terre battue, ils sont prêts à écouter la suite jusqu’à la fin.

Au premier sens du terme[2] , la fin est une limite.  Elle peut être ressentie comme une clôture ou comme une borne, une chose qui enferme ou délimite un territoire, un repère à ne pas dépasser ou une façon de se situer. En ce sens la limite offre plusieurs options qui sont affaire de considération. Elle reste ouverte à l’interprétation de celui qui la vit.

Au deuxième sens, la fin est une cessation d’activité, elle met un terme, un point final. Elle indique qu’on est allé au bout de quelque chose, il est temps de s’arrêter, le temps de faire une pause, le cas échéant de passer à autre chose. Ce terme peut être décidé de soi-même, imposé par les circonstances ou couler de source. Là encore rien n’est figé.

Au troisième sens du terme, finis en perd son latin, passe la main au grec ancien où il se redéploye en telos, accomplissement et achèvement, devoir et but, et, last but not least, la plénitude de ce qui est complet… Le fin du fin en quelque sorte.

Au dernier sens, le grec ancien l’ayant fait passer par son point culminant, finis arrive à son terme avec, mesure et proportion.

Comme on le voit le confinement a plus d’un tour dans son sac et porte à réflexion. Ensuite à chacun sa version. Voici la mienne :

En acceptant de vivre en compagnie des fins, on réalise que des limites données, voir imposées par les circonstances, sont souvent l’occasion de se situer dans un périmètre à sa juste mesure et d’y œuvrer avec la possibilité, parce qu’on en voit le bout, d’en venir à bout ; avec, à la fin, le sentiment du devoir accompli et le contentement qui va de pair. Le fin du fin étant de s’apercevoir qu’en fin de compte on a appris à vivre en bonne compagnie, le Mêdén agan, le « rien de trop » perle de la sagesse des philosophes de la Grèce ancienne.

Me revient en mémoire le rêve d’une patiente en quête d’un ailleurs toujours meilleur, venue en analyse avec deux objectifs, trouver un sens à sa vie et arriver à être soi-même parmi les autres. Elle rêve qu’elle fait plusieurs fois le tour de la clôture délimitant un champ qui est le sien en compagnie d’un propriétaire terrien ; ce faisant elle comprend qu’elle doit s’inscrire et œuvrer à l’intérieur du strict périmètre de ce terrain qui lui appartient. C’est exactement ce que recommande Voltaire quand il fait dire à Candide revenu d’années passées à courir le monde : « Tout cela est bien dit, mais il faut cultiver notre jardin ».

Sur le sol en terre battue, les voix d’autrefois se sont tues. Les Temps Qui Courent ont l’impression de revenir d’un long périple sans avoir bougé d’un pouce, ils restent là à méditer sur le message, les images et les voix venues des profondeurs. Le confinement, son travail accompli, se retire discrètement.

Pour remonter à l’air libre ? Rien de plus facile, il suffit de lever la tête, ouvrir les yeux, regarder au dehors. De l’intérieur, on met le nez à la fenêtre pour voir le temps qu’il fait, la vie est là, on y retourne. La vie revient, avec un petit gout nouveau, celui des profondeurs.


[1] Circuler, du latin circulare, de circulus :  cercle, et ses différents sens in Le Robert, Dictionnaire de Langue Française, édition Le Robert en sept volumes, 1975, p.780

[2] Les différents sens de finis,is sont à retrouver dans le Dictionnaire Gaffiot, Latin- Français, Hachette, Paris 1934, p.668.

Billet d’humeur paru (en partie) dans le « in folio » des Cahiers jungiens de psychanalyse : SOUVIENS TOI DE TON FUTUR, numéro 151, juin 2020 disponible sur : https://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens- de psychanalyse.htm